La santé va mal
La santé va mal
Certes, tout est relatif : comme le montre une récente étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) , Paris et sa petite couronne restent bien mieux lotis en matière d’accessibilité aux soins de premier recours que de très nombreuses communes dans le centre et le sud de la France. Mais l’actualité récente concernant l’offre de santé dans le nord parisien et ses départements limitrophes a de quoi inquiéter. Alors que les hôpitaux Bichat et Beaujon sont voués à disparaître au profit du futur hôpital Grand Paris Nord d’ici quelques années, nous apprenons la fermeture imminente de sept centres de santé non-lucratifs.
Six centres de la Croix-Rouge et la SCIC Richerand
Fin juin, la Croix-Rouge annonçait être en procédure de fermeture des centres Haxo (20e), Olympiades (13e), Villeneuve-la-Garenne, Meudon, Boulogne-Billancourt et Antony pour cause d’insoutenabilité financière. Dans le 10e arrondissement de Paris, proche du canal Saint-Martin, le centre de santé coopératif Richerand risque de connaître le même sort : il est placé en redressement judiciaire depuis le 13 juin 2024, tandis que ses salariés n’ont pas encore touché leurs salaires de mai.
Depuis le 1er juillet 2019, une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) avait repris ce centre créé en 1974 par la Caisse centrale des activités sociales des industries électriques et gazières, mais en difficultés financières depuis la fusion de GDF-Suez. Saluée pour son modèle solidaire et innovant associant professionnels et usagers à la gouvernance, la coopérative aura tenu à peine 5 ans. Des offres de reprise peuvent encore être déposées jusqu’à mi-septembre. L’équipe en place espère trouver des partenaires pour faire une proposition de reprise fidèle au projet médical et reprenant la patientèle. Mais le risque est grand de voir le centre de santé repris par un groupe privé lucratif.
Causes structurelles et effets délétères
En plus des 160 salariés de ces structures, ce sont aussi 20 000 patients qui pourraient rester sur la paille à Richerand, et 33 000 dans les centres de la Croix-Rouge. Beaucoup y avaient trouvé leur médecin traitant. Car si la région parisienne est relativement bien pourvue en professionnels de santé, ce n’est pas pour toutes les bourses : les médecins en secteur 1 (sans dépassement d’honoraires) sont en « manque critique » dans le nord-est parisien selon la Fédération nationale des
centres de santé. Pour les personnes sans mutuelle ou avec des difficultés sociales, les centres de santé proposent une offre de soins indispensable. Ils font aussi de la prévention et de l’éducation à la santé, des missions d’intérêt général insuffisamment couvertes par la tarification à l’acte en vigueur, et même par des expérimentations de financement en équipe (PEPS).
Car pour ces différents centres, le problème ce n’était ni la qualité des soins ni les besoins en santé de la population ; c’était bien l’argent. Fin 2023, la coopérative Richerand avait accumulé un déficit de 760 000€, quand les six centres de la Croix-Rouge affichaient un déficit de 4,3 millions d’euros au budget 2024. Le modèle économique, consistant à accompagner les patients avec ou sans complémentaire santé, de manière pluriprofessionnelle tout en ayant pour recettes les seuls tarifs de secteur 1 plafonnés, était en effet structurellement déficitaire.
Et le déremboursement partiel des soins dentaires depuis le 1er octobre 2023 n’a rien arrangé.
Pourtant, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Caisse nationale d’Assurance Maladie (et compagne de l’ancien ministre de la Santé et désormais député Aurélien Rousseau) avait promis que la baisse du taux de remboursement de 70 à 60%, autrement dit l’augmentation de 30 à 40% du ticket modérateur à la charge du patient, « [ne serait] pas une baisse du remboursement, mais une répartition différente ». C’était donc sans compter les 2,5 millions de personnes sans complémentaire santé et les structures qui les accueillent…
A l’échelle de l’arrondissement, le fonctionnement en équipe des différents professionnels du centre Richerand avait d’ailleurs favorisé la mise en place de la Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS) dont le centre assurait jusqu’ici les fonctions support. Ce dispositif, encouragé par les agences régionales de santé (ARS), doit permettre une meilleure coordination entre les professionnels de santé d’un territoire donné et avec les hôpitaux, dans le but d’éviter certaines hospitalisations ou de faciliter les sorties, et plus largement pour améliorer les parcours de soins des patients. Avec l’hôpital AP-HP Lariboisière, la SCIC Richerand partageait des postes de médecins généralistes pour faciliter cette articulation « ville-hôpital ». La disparition du centre Richerand et l’affaiblissement de la CPTS auront pour effet une pression supplémentaire sur l’hôpital public.
Jeux Olympiques 2024 : les plus vulnérables trinquent
Et en matière d’accès à la santé, le rouleau compresseur des Jeux Olympiques a porté un coup supplémentaire aux malades les plus vulnérables. Médecins du Monde a ainsi annoncé la fermeture temporaire (du 1er juillet au 15 septembre) d’un Centre d’accès aux soins et d’orientation. Ouvert depuis 2004, cette structure est située à la Plaine Saint-Denis, en plein cœur du dispositif olympique, et offre en temps normal des soins et un accompagnement social à une population sans-papiers et/ou précaire. Pour ne pas les exposer dans un contexte de contrôles policiers accru, Médecins du Monde a jugé préférable de délocaliser ses consultations sur deux autres sites à Pantin et à Bobigny.
À cela s’ajoute une série de restrictions de liberté demandées par plusieurs ARS et préfectures concernant des patients en soins psychiatriques sans consentement. Pour « protéger » les festivités lors du passage de la flamme olympique, ils ont donné des instructions aux établissements de santé mentale afin de limiter les sorties de certains patients, quand bien même l’équipe médicale aux côtés du patient y serait favorable.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a été saisi par des associations craignant des enfermements à répétition pendant les Jeux, et dénonçant la stigmatisation des malades. En réponse, le Contrôleur a relevé le paradoxe « stupéfiant » d’enfermer des personnes atteintes de handicaps psychosociaux, aux antipodes des valeurs d’inclusion affichées par les Jeux. Et il souligne le caractère illégal de ces décisions systématiques, anticipées et qui ne prennent pas en compte la situation spécifique de chaque patient visé.
À Paris, pour le moment, les jeux se terminent et aucune consigne revenant sur ces décisions n’a été donnée aux établissements.